Pourquoi les intérêts bancaires sont une source d’injustice ? (1/2)
Toutes les religions monothéistes ainsi que toutes les formes de sagesse universelle visent à établir la justice et la paix entre les Hommes sur Terre. Pour atteindre cet objectif de justice socio-économique, le droit musulman cherche à éliminer l’exploitation dans les transactions commerciales et prohibe toutes les sources d’enrichissement injustifié. L’une des sources principales de gain injustifié n’est autre que le fait de recevoir n’importe quel avantage monétaire dans une transaction commerciale, sans en donner la contre-valeur équitable. C’est pourquoi l’usure a été l’un des actes les plus malsains à avoir été sévèrement proscrit en islam.
La racine sémitique du mot riba renvoie littéralement aux sens d’augmentation, d’addition, d’expansion ou de croissance. Dans la terminologie de la jurisprudence, le mot riba est traduit par surplus, usure et intérêt. Il désigne tout profit perçu sans aucune contrepartie acceptable et légitime du point de la justice. Cette dernière considère le profit acceptable si et seulement si il permet de compenser quelque chose de légitime, comme par exemple, la perte de valeur d’un bien, son usure, l’effort fourni ou encore une prise de risque véritable.
La falsification du contrat de prêt et la dissimulation de l’usure dans l’intérêt bancaire
Dans le cadre d’un contrat de prêt, le prêteur prête gratuitement l’objet prêté à l’emprunteur qui s’engage à le restituer dans le même état. Si le prêteur demande, en échange du prêt, une somme d’argent destinée à compenser l’usure ou l’usage de l’objet prêté, le contrat de prêt gratuit devient un contrat de location à titre onéreux. Dans ce cas, le locataire peut restituer l’objet usé, le loyer versé au loueur devenant une compensation et une rémunération versée par le locataire en échange de l’usure ou de l’usage de l’objet loué. On voit bien ici que le contrat de prêt gratuit est foncièrement différent du contrat de location à titre onéreux, sans pour autant que le contrat de location ne soit injuste, dans la mesure où le loyer compense une perte de valeur ou rémunère l’usage véritable d’un bien.
Parce que le prêt ne devrait être que gratuit, un « prêt rémunéré » ne saurait exister au regard de la justice morale. Il s’agit d’une manière trompeuse de falsifier les caractéristiques d’un contrat de bienfaisance et d’entraide gratuite à l’aide d’un contrat de location à titre onéreux. Le « prêt d’argent rémunéré » est en réalité un contrat de location d’argent ayant pris l’appellation trompeuse de « prêt ».
Dans cette opération de « prêt », l’usurier falsificateur fait payer un loyer destiné à compenser l’usure d’une chose qui ne s’use pas. En effet, l’argent est un bien fongible, c’est-à-dire qui ne s’use pas par son usage car les choses de genre ne périssent pas selon le principe bien connu « genera non pereunt ». C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle l’Église a longtemps considéré l’usure comme du vol et ce sont ces manipulations qui ont conduit Saint Thomas d’Aquin à considérer que tout intérêt était de l’usure.
Quant à ceux qui, par la suite, ont affirmé que l’intérêt permettrait de compenser l’inflation, il ne s’agit que d’un pur sophisme : un docteur ne saurait confondre maladie et symptôme ou maladie et remède. Le sens du mot « inflation » est proche de celui de riba : il signifie « enflement » et « croissance » de la masse monétaire en circulation se traduisant par une augmentation durable des prix. S’il existe de l’inflation, l’intérêt bancaire en est la cause puisque lorsqu’il est pratiqué, il entraîne une augmentation de la masse monétaire ayant pour conséquence une hausse de prix.
Après avoir montré que tout intérêt est de l’usure au sens classique du terme et que le contrat de « prêt rémunéré » est en fait un contrat de location à titre onéreux d’une marchandise qui, du fait de sa fongibilité, ne se loue pas, il est primordial de rappeler que l’usure a été interdite non seulement par les textes des trois religions monothéistes. Elle a même été reprouvée de manière très explicite dans la Grèce antique où il existe des traces d’un mépris pour toute forme de rémunération de l’argent prêté.
Quand l’intérêt bancaire est une source d’injustice
L’endettement, comme l’ont démontré de nombreux économistes, est la cause des dépressions, lesquelles sont les conséquences de tentatives de désendettement d’agents économiques suite à un retournement violent d’une conjoncture bénéfique liée à l’abondance du crédit. Si les prix de l’immobilier augmentent et qu’aujourd’hui les populations ont du mal à se loger, c’est justement parce que les marchés sont soutenus par une demande artificiellement alimentée par le crédit bancaire. Les crises se manifestent quand les opérateurs ayant financé et orchestré la hausse des prix souhaitent se retirer et encaisser leurs « bénéfices », qui sont en réalité des pertes pour la société humaine dans son ensemble. Cette forme d’injustice dans une société éthique et morale ne saurait qu’être condamnée.
En multipliant la dette à l’aide du crédit et de l’individualisme, le capitalisme dévore toutes les autres formes de liens sociaux, y compris ceux basés sur l’entraide et la solidarité. La dette agit comme un système d’exploitation extrêmement robuste et bien établi. Il s’agit d’une forme d’injustice institutionnalisée permettant de rendre acceptables des comportements cupides, égoïstes et violents.
Dans un monde où l’aide publique au développement apportée par les pays du Nord aux pays du Tiers monde est inférieure aux intérêts bancaires que ces derniers versent aux banques des pays développés, et à l’heure où la dette française représente plus 40 milliards d’euros d’intérêts versés chaque année depuis plus de 25 ans, il devient urgent qu’économistes et intellectuels musulmans se rapprochent à l’échelle mondiale de celles et ceux qui militent pour l’annulation des intérêts bancaires de la dette.
A titre d’exemple relatif à l’excès de l’endettement, nous pouvons citer les propos de l’agence de notation Standard and Poor’s indiquant que la majorité des pays d’Afrique subsaharienne notés pourraient avoir, dans les prochaines années, à mettre leurs revenus davantage à disposition au service de leur dette. En cause, la remontée des taux d’intérêt, et donc le resserrement du crédit, ainsi que l’aggravation des balances commerciales liée à la baisse, souvent spéculative, des cours des matières premières et l’augmentation des importations. Processus ayant pour conséquence une dépréciation des monnaies africaines face aux devises et donc un renchérissement de la dette.
In fine, ce seront les citoyens africains et européens qui en subiront d’abord les conséquences, lesquelles se traduiront par une réduction des investissements d’infrastructures et des dépenses sociales.
L’économie islamique a beaucoup à offrir à l’humanité
Les États, entreprises et ménages surendettés du monde entier doivent savoir qu’au regard de la sagesse antique et des sources scripturaires des trois religions monothéistes, les prêts qu’ils ont contractés sont censés être nuls et non avenus.
Toutefois, rappelons ici que les imams Ahmad, Chafi’i, Ibn Madjah et Tirmidhi ont rapporté ces propos du Prophète Muhammad : « L’âme du croyant reste suspendue en raison de sa dette, tant que celle-ci n’est pas acquittée. » On comprend à la lecture de ces paroles que, bien que les intérêts bancaires en raison de leur assimilation à l’usure et donc au riba doivent être annulés car illégitimes et injustes, le capital emprunté doit, quant à lui, être absolument remboursé.
Il aura fallu quelques siècles avant que la civilisation islamique n’atteigne son apogée et ses apports à l’humanité dans le domaine de la culture et des sciences furent nombreux. Aujourd’hui, il lui reste encore beaucoup à offrir au travers de l’économie islamique, qui apporte des solutions concrètes aux problèmes économiques contemporains, notamment celui de l’excès de l’endettement. Les fondements et l’essor de la finance islamique remettent sérieusement en question le modèle actuel de la dette et offrent des solutions concrètes qui permettent non seulement de l’enrayer mais aussi de réorienter le financement vers l’économie réelle pour finalement libérer l’emploi et la croissance.
Ezzedine GHLAMALLAH, chercheur en finance islamique. Première parution de cet article sur le site SAPHIRNEWS