La laïcité ou l’athéisme ?

Ce texte tente de mettre en évidence la différence entre la laïcité stipulée dans la loi 1905 et une laïcité militante qui pratique la dérision à l’égard des religions et prône leur disparition de l’espace public. Le problème soulevé dans cet article essaye de stimuler la réflexion autour d’un tel sujet.

La pensée des Lumières a constitué la référence intellectuelle qui a jalonné l’engagement des tenants de la démocratie et de la liberté en Europe. En France, la Révolution de 1789 était le premier seuil (1) de laïcisation mettant fin à la domination de l’Église catholique et instaurant un pluralisme religieux permettant aux autres croyances de se pratiquer et de se manifester.                                                       

L’adoption de la loi 1905 marque le deuxième seuil  de laïcisation. Elle instaura la séparation du pouvoir politique et religieux. Outre,  la loi 1905 a rendu la liberté de conscience publique, laissant ainsi le champ libre à tout ce qui s’en suit, notamment le libre exercice public des cultes.

Cependant, avec cet esprit libéral et tolérant de la laïcité, un courant incarné par nombre de politiciens et d’intellectuels a émergé pour défendre une laïcité antireligieuse qui professe un athéisme d’État. Prenons l’exemple de Maurice Allard, député socialiste et membre de la commission chargée de l’élaboration de la loi 1905, qui a affirmé qu’il est indispensable de « poursuivre l’idée de la convention [1792-1795] et d’achever l’œuvre de la déchristianisation de la France »(2).. Selon lui, la liberté de conscience ne doit pas inclure la liberté religieuse car la religion est par essence « l’oppression des consciences ». Ainsi, la loi de la séparation doit donc permettre l’émancipation à l’égard de la religion et l’État doit imposer, par la laïcité, une sécularisation des individus. Cette approche a été rejetée par une large majorité lors du vote. Maurice Allard la qualifie alors de « périlleuse » et menace : « Nous nous servirons de l’action directe et prendrons d’assaut vos églises » (3).    

Michel Onfray, philosophe contemporain, a également soutenu cette position en prônant « une laïcité post-chrétienne, à savoir athée  »(4). Il reproche à la laïcité de la loi 1905 d’être « relativiste » en « mettant à égalité les religions et leur négation » et considère que cette « laïcité se bat pour permettre à chacun de penser ce qu’il veut, de croire à son dieu, pourvu qu’il n’en fasse pas état publiquement. Mais publiquement, la religion laïcisée du christ mène le bal… »(5). Ces déclarations montrent que l’auteur considère trop laxiste même une laïcité qui neutraliserait l’espace public de toute expression religieuse, ce qui explique que la laïcité doit être utilisée, d’après lui, comme un moyen pour instaurer une sécularisation complète de la société.

L’association Riposte laïque fait exception en défendant une laïcité antimusulmane (6). Pascal Hilout, membre de l’association, a eu l’occasion de s’exprimer devant la Mission parlementaire sur le voile intégral en indiquant que la laïcité en France subit des « entorses » et pour cette raison : « Tous les citoyens, aussi bien musulmans que non-musulmans, doivent dire non à toutes les prescriptions, attitudes et pratiques sociales liberticides, sexistes, séparatistes et ségrégationnistes, même si elles sont, à tort ou à raison, fondées en religion » et insiste : « Il nous faut oser dire non ! La religion avec ses lois archaïques ne régentera pas la vie dans nos quartiers ! »(7). 

La manifestation d’une pratique religieuse en public a toujours suscité des émois chez les  laïcistes. La communion solennelle de la fille de Jean Jaurès, par exemple, a été critiquée par les socialistes et considérée comme une atteinte à la laïcité. Dans la même optique, des hommes politiques comme l’ancien président du conseil de la IVème République, Guy Mollet, ainsi que l’ancien ministre de la Vème République, Michel Charasse, ont refusé de franchir la porte d’une église lors d’enterrements « par soucis de laïcité».

Ces positions laissent entendre que la religion et la laïcité sont « antinomiques » et pour qu’une personne soit plus laïque, elle doit être moins religieuse. En effet, on est ici devant une logique qui met la laïcité et la religion sur le même plan et transforme la laïcité en « une nouvelle croyance »concurrente de toute religion.

Il semble que les tenants de la laïcité antireligieuse restent minoritaires en France, mais ils existent toujours des militants laïques qui peuvent être influencés par cette approche. Il se peut, également, que certains militants laïques adoptent un discours contradictoire en défendant, d’une part, une laïcité tolérante qui garantit la liberté de conscience et le respect des religions et, d’autre part, une position qui incite au rejet de tout ce qui émane du religieux. Le hors-série de Charlie Hebdo « La laïcité, c’est par où ? » illustre cette attitude. En effet, l’éditorial propose une définition de la laïcité conforme aux principes de la loi 1905 : «  La laïcité n’est pas athée. Elle est areligieuse. Elle respecte les religions, mais leur refuse toute suprématie »(8) et quelques lignes plus loin, on trouve une affirmation qui va à l’encontre de ce qui vient d’être annoncé : « Tout religieux est sectaire et intolérant. Tout religieux est non fraternel en dehors des adeptes de sa secte » et pour ces raisons « dans une vie [qui est] dominée par la frustration, il faut bien soigner son angoisse et sa dépression par la croyance en l’existence d’un Être supérieur ou par la haine de l’autre »(9). Ces propos témoignent bien d’une confusion entre la dénonciation de la religion et la laïcité dont on vient d’affirmer qu’elle « respecte les religions » !

—————————————————————————————————————–

Bibliographie :

(1) Voir Jean Baubérot, Histoire de la laïcité en France, PUF, 6 ème édition,  Août 2013.

(2) Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises, Clamecy : Les Presses de la nouvelle Imprimerie Laballery, Juin 2015, Citation, page 27.

(3)Même référence, Citation, page 29.

(4) Même référence, Citation, page 33.

(5) Même référence, Citation, page 32

(6) Voir Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises, Clamecy : Les Presses de la nouvelle Imprimerie Laballery, Juin 2015.

(7)http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-miburqa/09-10/c0910015.asp

(8)Bernard Maris, La laïcité c’est par où ?, Hors Série Charlie Hebdo, Septembre 2013, Editorial, page 5.

(9)Même référence.

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Bouton retour en haut de la page