L’Art d’aimer en politique
Chaque campagne électorale est une période propice pour chacun d’entre nous de nous interroger sur la pertinence de notre mode de représentation, sur la validité de la démocratie et sur son fonctionnement. Chacun y va de son analyse, rêve d’un système qui serait à la hauteur de ses attentes et qui permettrait de résoudre toutes nos angoisses. Il suffit d’être engagé et militer lors d’une élection pour se rendre compte qu’un changement d’optique est nécessaire pour mieux comprendre l’abstention et ses réelles origines.
Chose étonnante, l’amour semble jouer un rôle central dans notre approche du phénomène électoral. Plutôt, notre conception de l’amour et notre façon d’aimer définissent largement nos rapports au pouvoir et aux autres…. et semble de facto être à l’origine de nos comportements électoraux.
De l’art de s’abstenir
« Ça sert à rien d’aller voter, ça sert à rien de voter à gauche, ça sert à rien de voter à droite. » Cette phrase pourrait, à elle seule, résumer la pensée dominante actuellement et le slogan du premier parti de France, l’abstentionnisme. En quelques décennies, l’abstentionnisme est devenu bien plus qu’un simple rejet du mode de scrutin. Il s’agit d’un vrai courant philosophique qui n’est que le résultat de la désintégration de l’amour dans nos sociétés contemporaines.
Quèsaco de l’art d’aimer ?
Lorsqu’on parle d’amour, tout un imaginaire nous vient en tête. On associe souvent l’amour à une sensation agréable qui reste le plus souvent une expérience liée au hasard et aux rencontres. Dans cette relation d’expérience et de hasard, tout phénomène de vie doit suivre un schéma bien rodé pour coller au mieux à cette représentation de l’amour. Il semble y avoir une caractéristique commune applicable à toutes nos expériences : tout semble fondé sur un appétit d’achat et d’échange mutuel. On pourrait résumer cela à travers des phrases tellement répandues qu’elles nous semblent tout à fait naturelles et vraies sans besoin d’être démontrées :
Qu’ai-je à gagner à voter pour vous ? Qu’ai-je à gagner en t’épousant ? Ou encore qu’ai-je à gagner en te fréquentant ?
Dans un modèle sociétal où prévaut l’orientation commerciale et dans lequel le succès matériel constitue la valeur éminente, il n’est pas étonnant de voir une telle définition de l’amour devenir si dominante et populaire. Pourquoi parler d’amour en politique ? L’amour est si profondément lié à la définition de l’Homme, que sa définition et sa maitrise ne peuvent qu’être la solution à l’établissement d’un vrai projet d’avenir pour l’humanité. Or quand on se plonge dans la tradition islamique et sa formulation de l’art d’aimer (Mahabba), on se rend compte que l’amour requière connaissance et effort, deux éléments qui sont complètements absents dans nos sociétés modernes.
La structure du capitalisme
La structure et l’esprit d’une société définissent largement la façon dont l’individu va concevoir sa façon d’aimer et son rôle dans cette société. La société capitaliste repose sur deux éléments fondamentaux : d’une part le principe de la liberté politique, qui est étudié dans le cadre de cet article à travers les élections, et d’autre part le marché comme régulateur de nos rapports économiques et sociaux, qui est notre axe d’observation de ces élections.
La démocratie moderne, tel le capitalisme moderne, a besoin d’hommes et de femmes, qui coopèrent, qui consomment toujours davantage, et dont les goûts sont standardisés, facilement modelables et prévisibles. Tout en ayant le sentiment d’être libre et autonome, de n’être soumis à aucune autorité, l’Homme moderne accepte d’être commandé et de s’insérer dans la machine sociale bien huilée. Il marche sans but si ce n’est celui de se tenir à sa place. Criant que l’ensemble de la classe politique est égoïste et individualiste, il se contente de son rythme de vie imposé par son entreprise, passe ses week-ends à se reposer en famille et consommer son capital temps en loisirs. Dépassé par un monde changeant, il se refugie dans un confort bien misérable où il a perdu contact avec lui-même et l’ensemble de l’humanité. Transformé en marchandise, la société lui offre de quoi rester loin de l’art d’aimer et de se libérer. Dans le roman « Brave New World » (le Meilleur des monde), l’auteur Huxley dresse un portrait dramatiquement proche de celui de l’Homme du 21ème siècle : « Bien nourri, bien vêtu, sexuellement satisfait, mais dépourvu de soi, sans autre contact avec autrui que superficiel … »
La pratique de l’amour en politique
La suite logique de cette observation serait une sorte de cynisme rationnel, qui paradoxalement se manifeste souvent lors des élections à travers des phrases du style : « Si je devais m’engager pour la justice ou pour changer le monde, je serais réduit à ne plus avoir de vie, ou encore à travailler pour les autres… ».
On pourrait émettre des axes de réflexion pour mettre fin à cet anéantissement de l’Homme. Comme par exemple, faire sortir « l’art d’aimer » de son statut de phénomène marginal et en faire la réponse au sens de l’existence. Ou encore, s’engager pour impulser les changements de la structure de nos sociétés pour que « l’art d’aimer » devienne un phénomène social, et non plus marginal.