Témoignage : expérience en milieu carcéral

Voilà six ans que je travaille en milieu carcéral et je souhaitais partager un peu de cette expérience pas tout à fait ordinaire…

Je suis éducatrice spécialisée auprès de personnes détenues et mon rôle consiste à les accompagner dans leur projet de vie, personnel, familial, social, professionnel et de soins, dans le cadre d’un aménagement de peine.

Les hommes et les quelques femmes rencontrés sont tous auteurs de délits ou de crimes, condamnés à des peines pouvant aller de quelques mois à perpétuité.

Ce sont principalement des hommes, souvent jeunes, incarcérés pour délits, souvent en situation de récidive. De la conduite sans permis au cambriolage, de l’escroquerie à la détention de produits stupéfiants, de la violence conjugale à l’agression sexuelle….

Certains autres ont tué, violé, braqué. Mais les crimes ne représentent qu’une infime proportion du paysage carcéral.

Rien de sensationnel donc, bien loin des images véhiculées dans les médias et des représentations sociales qui leur sont associées. Ni monstres ni fous, ce sont des personnes qui ont commis des faits graves mais ces actes ne peuvent retirer à personne son statut d’être humain et le respect qui lui est dû.

J’ai la conviction profonde qu’on ne se résume pas à ce que l’on a fait. Ne nous trompons pas de débat, il ne s’agit pas d’excuser, de justifier, de pardonner. Mais simplement de comprendre. Comprendre ce qui a pu se passer dans leur histoire de vie pour en arriver là. Souvent, ils ne le savent pas eux-mêmes.

Imaginer que le jugement seul et la peine qui lui est associée suffisent à la réhabilitation d’un homme est un leurre. Encore faut-il leur donner du sens et c’est là tout l’enjeu du travail éducatif et psychologique à mener.

On oppose souvent la considération pour ces hommes à la souffrance des victimes. A mon sens, les deux approches sont indispensables. Il me semble que la condamnation des auteurs est une reconnaissance nécessaire de la souffrance des victimes mais elle n’est pas -ou pas entièrement- réparation.

Au fil de ces années, de très nombreuses rencontres ont ponctué mon quotidien professionnel, des rencontres empreintes d’une grande richesse. Je souhaitais faire le récit de quelques-unes, pas forcément représentatives de l’ensemble, puisque chaque histoire est singulière mais simplement parce qu’elles m’ont touché.

F.  33 ans quand je le rencontre la 1ère fois au parloir.

Multirécidiviste, Il ne comptait même plus le nombre de ses incarcérations et était condamné pour de multiples délits de vols et stupéfiants.

F. a grandi à Paris avec son père et ses deux petits frères. Sa mère les a abandonnés un soir pour acheter du pain et n’est jamais revenue. Le père tient un manège et F., encore enfant, récupère les portefeuilles que les clients ont perdu. Le père prend l’argent à l’intérieur avant de les rendre aux propriétaires, en expliquant l’avoir trouvé comme ça. F. fait donc l’expérience de ses premiers vols sous couvert de son père. Le manège finit par fermer et le père se retrouve en grandes difficultés financières. F. a 16 ans et part pour la Côte d’Azur où il commence à braquer de riches étrangers aux sorties des casinos et envoie un peu d’argent à sa famille. Commencent ses nombreux allers retours en prison. Le père est expulsé. F. perd sa trace mais retrouve, quelques années plus tard, ses deux frères qui lui apprennent avoir été violés par leur père. Il explose, pointe une arme sur eux « Pourquoi vous ? Vous et pas moi ? » F. continue ses délits et consomme tout ce qui lui tombe sous la main, alcool, drogues.

F. sort en aménagement de peine. Il est bien loin de l’emploi, il faut se soigner avant toute chose, se sevrer et donc manquer. Manquer de produits ? Quand on a manqué de la présence d’une mère et du cadre d’un père, c’est insoutenable. Alors on essaye de retrouver le père, qui serait dans un foyer quelque part, de renouer avec les frères, qui travaillent en mairie. Mais ça ne marche pas.

F. repart en prison quelques mois plus tard. Il y meurt d’une overdose. Mais peut être F. était-il déjà mort depuis longtemps de n’exister pour personne.

Y. est un jeune homme de 20 ans, condamné pour vols et rébellion, en récidive. C’est sa 3ème incarcération. Au parloir, Y. essaye de comprendre pourquoi il vole et ne supporte pas l’autorité. Il est intelligent et nous échangeons beaucoup. Il raconte être livré à lui-même depuis longtemps, ne tolérer aucune frustration mais en avoir énormément besoin. Y. est métis d’une mère française et d’un père algérien. Il a un demi-frère, issu  de la 1ère union de sa mère. Y. explique que son père souffre de troubles psychiatriques ou qu’il a un djinn, ou les deux et qu’il était très violent envers sa mère, son demi- frère et lui. Le demi-frère de Y. le maltraite et les parents le surprennent alors qu’il viole Y. Le jugement aboutira sur un non-lieu. Y. m’a alors demandé quel crédit il pouvait alors donner à la Justice, lui qui était en prison pour vol. Son frère est tout de même placé en foyer et, lors d’une altercation, meurt d’un coup de couteau. Y. pense que ses parents, même s’ils ne lui disent pas, lui reprochent la mort de son frère.

A 13 ans, Y. lâche l’école et commence son parcours de délinquance.

Quand je l’ai rencontré, Y. allait être père, alors qu’il était lui-même complètement immature.

Il sort en aménagement de peine et déclare le 1er jour, qu’il n’est habillé qu’avec des affaires volées alors qu’il sort de prison. Sa compagne se fait expulser et est accueillie dans un foyer après la naissance de l’enfant. Y. est parfois très violent envers sa compagne, ce qui lui fait très peur mais il n’arrive pas à se contrôler. Il dit que son père lui a donné son djinn. Y. est plein d’énergie et de potentiels. Il trouve un emploi en manutention mais ne tient pas. Il est réincarcéré pour vols et est condamné à une peine de 4 ans.

Si je retranscris ces quelques bribes de leur histoire, qu’ils m’ont livrées avec beaucoup de pudeur, entre deux fouilles au parloir, c’est pour que soient entendues leur voix et leur souffrance. A les écouter, je me suis souvent demandée comment ils tenaient encore debout. Car ils n’ont pas seulement en commun d’avoir transgressé la loi, ils partagent surtout une grande souffrance. Même si tous les délits ou crimes ne s’expliquent pas forcément par une enfance malheureuse ou un parcours difficile, c’est bien souvent le cas. Lorsqu’on interroge leurs intentions,  il s’agit bien plus d’exprimer un mal-être que d’une véritable intention de nuire.

Certains hommes que j’ai croisés n’étaient que des ombres. Seuls la prison ou le produit assurait leur contenance. J’ai vu certains commettre un délit quand la rue devenait insupportable ou refuser des remises de peines pour ne pas finir dehors. Aucun ne m’a jamais dit aimer la prison mais aujourd’hui, en France, c’est le seul lieu qui garantisse un toit au-dessus de sa tête, de la nourriture à chaque repas et une place. Quitte à perdre sa liberté.

On me demande souvent comment je fais à entendre, toute la journée, le pire de l’homme. J’aime mon métier même s’il s’agit parfois de côtoyer ce qu’il peut y avoir de plus sombre et de plus effrayant chez l’autre. Mais pouvoir travailler avec ces personnes nécessite de voir l’humanité de l’autre, au-delà de ses actes. Je crois que c’est ce regard qui permet à l’autre le changement et lui ouvre un espace dans la société.  On peut diaboliser ces hommes, laisser croupir certains depuis 30 ans derrière les murs, construire des prisons encore et encore, bien loin des villes et des honnêtes citoyens, la plupart retourneront un jour à la société. Un peu décalés, beaucoup plus violents. 

Mais est-ce si étonnant après leur avoir fait miroiter qu’un jour, ils auraient payé leur dette ?

La vérité est qu’ils n’ont jamais tout à fait soldé leur compte et que leur présence dérange. Elle renvoie la société à ses dysfonctionnements, à ses limites et donc à ses responsabilités. A nos responsabilités. Dommages collatéraux d’une société dans le déni de sa propre violence.

«  Vous savez, Madame, moi ce que je veux c’est une femme, des enfants, un chez moi. Une vie normale quoi. » Ça paraît cliché comme ça mais c’est la phrase numéro un des parloirs…

 

5 commentaires

    1. Bonjour Michèle. Paix et apaisement à vous, à vos proches, à vos plus éloignés et à tout le monde finalement y compris, bien entendu, aux personnes détenues que vous venez de mentionner. Je vous ai lu et je souhaiterais sincèrement vous tirer mon chapeau. Personnellement, devant l’assistance au quotidien à tant de souffrances, de misères humaines, moi, être o combien sensible, je ne sais si j’aurais la résilience suffisante pour ne pas sombrer en déprime voire en dépression. Ces personnes ont besoin d’être entendues. Elles ont besoin d’être dediabolisees, d’être rehumanisees aux yeux de certains, certes, mais peut-être d’abord à leurs yeux propres.
      Voilà peut-être ce que je leur dirais si j’étais face à elles, bien que je ne le sois pas. J’essaye quand même: Non cher monsieur, non chère madame, tu n’es pas le diable personnifie(e), tu es simplement humain(e), un humain qui porte de lourdes souffrances mais pour qui rien n’est “joué”, rien n’est perdu et pour qui rien n’est terminé, pour le moment en tout cas. Oui il y a de l’espoir, et même si tu n’en n’as pas encore conscience, même si le chemin peut paraître long, l’espoir est là, lui, il te tend les bras et il n’attend que toi. Je ne nie pas tes souffrances, je ne nie pas tes difficultés mais pardonne moi de ne pas partager avec toi ton désespoir. Moi, je n’en n’est pas le droit parce que moi, j’ai eu l’occasion de voir d’autres aspects que la vie peut offrir et même si ton lourd vécu peut me boulverser, je suis là pour t’aider à envisager autre chose. Oui la vie peut être belle aussi, elle peut-être douce et apporter même parfois un peu de réconfort. Louange à Dieu Seigneur de l’Univers ! Les Bienfaits qu’Il nous a accordé sont inombrables ! (Ça faut pas le dire à voix haute parce que sinon, on encourt la suspicion voire la réprimande mais bon rien n’empêche de le prononcer en son for intérieur). Le “produit”, c’est facile à dire et sûrement très difficile à mettre en œuvre, il faut le virer, progressivement si nécessaire, mais il faut le sortir de ta vie pour commencer. Il permet sûrement d’oublier temporairement les souffrances vécues, la réalité actuelle d’enfermement, de privation de liberté (et j’en passe…) mais les prix de son addiction et de sa nocivité neuronale et corporelle sont trop lourds à supporter. Celui-ci t’eloigne trop de la réalité à laquelle tu dois, malgré tout, rester connecté(e) pour espérer mieux. Allège t’en. Tu as besoin de toute ta tête et de tout ton corps pour ce qui t’attend. Moi j’ai besoin, entre autres, de toute ton attention. Tu as déjà tant de charges à porter comme ça, pourquoi en supporter d’avantage ? Je ne crois pas au “Surhomme”. En revanche, je crois en toi. Tu n’ y crois peut-être plus toi, tu ne crois peut-être plus en ce que la vie peut t’apporter de positif, de constructif, tu ne crois peut-être plus en “ton destin”, n’ayons pas peur des mots. Pardonne-moi, mais moi, je suis certaine qu’autre chose est possible. Si tes problèmes sont réels, il n’y a qu’à partir de cette dimension que tu y trouveras des solutions. Tu as besoin d’être présent à toi pour pouvoir prendre conscience de tes facultés, de tes possibilités, de tes potentialités. Apprends à te connaître. Decouvre-toi. Expérimente. Pars à ta reconquête. Tu t’es suffisamment fait colonisé comme ça, peut-être est il enfin temps de te réveiller un peu. Tu as besoin d’être présent à toi, à ta vie pour pouvoir entrevoir les opportunités qu’elle peut t’apporter et pour que tu puisses y répondre favorablement. La mort viendra bien assez tôt, pourquoi chercher à la provoquer ? Il y a tellement de travail à faire que l’absence à toi est un luxe que tu ne peux te permettre. Le regard que l’autre te porte, la considération qu’il te prête je n’en parle même pas. No way… Arrête de gaspiller toutes tes ressources et commençe le travail, engendre le processus. Tu n’es pas seul(e). Je ne suis pas la Sauveuse. Mais même si je ne représente pas grand chose à tes yeux, je suis là, moi et je suis bien réelle ! Sers toi de moi. Appuie toi sur moi. Attention je ne te donnerai que ce que je peux. Je ne revendique ici aucune omnipotence mais je suis prête à t’aider. Prends la main que je te tends et avançons ensemble. N’oublie pas, toi seul tient le volant et sans ta coopération, je ne peux rien faire. Il y aura des hauts, il y aura des bas. C’est normal. Après avoir bien été détruit(e) voire peut-être même t’être bien auto-detruit(e) aussi (après tout pourquoi n’aurais tu pas pris part aussi à ce processus afin de te donner un tant soit peu l’illusion que tu prends le contrôle dessus), il est peut-être temps de songer à passer à autre chose. Ça c’est pas facile, ça prend du temps et beaucoup d’énergie. Autant te le dire tout de suite, tu n’as pas le choix. C’est ça ou la mort assurée. Elle viendra bien tôt ou tard mais dans quel état nous trouvera t-elle ? Dans quelle(s) dynamique(s)? Maintenant, il faut commencer par recenser tout ce qui est à disposition. Inutile de perdre ton temps à pleurnicher sur ce que tu n’as pas, de toute façon, tu ne construiras qu’avec ce que tu as. Cela étant dit rien ne t’empêche d’ambitionner d’acquérir plus par la suite. Personne n’a le droit de te priver de tes ambitions à commencer par moi évidemment. Rien n’est linéaire tel qu’on l’imagine trop souvent de façon erronée voire fantasmée. Rien n’est déterminée non plus. Non le déterminisme vitalo-terrestre n’est pas perceptible humainement parlant ni par d’autres biais d’ailleurs disons-le clairement. Il n’est que du Ressort et le la Connaissance du Créateur et que de Lui Seul. Quiconque prétend le contraire ment. Dieu Sait Mieux. Si tu le souhaites, nous pouvons faire un bout de chemin ensemble, ne tient qu’à toi. Que choisis tu ?

      Je vous poste ce message, Michèle, car au delà des souffrances que vous nous avez brièvement relaté ici, je craignais qu’il y en est d’autres, plus personnelles, tues ici. J’espère que ce message vous a été d’une quelconque utilité et qu’il vous permettra de soulager quelque peu certaines souffrances, si elles existent, voire de construire du meilleur, c’était là son unique objet. Vous n’êtes pas seule vous non plus ! Que Dieu Vous Aide ! Courage !

  1. Ma chère soeur
    Merci d\’avoir partagé par écrit ton vécu. Pour t\’avoir écouté me raconter ton métier, je sais que tu l\’aimes et ta force, ta ressource c\’est auprès de Dieu que tu la trouves. Ma chère soeur que Dieu t\’aide dans tout ce que tu fais et surtout dans cet engagement auprès de ceux qui sont enfermés. Ta soeur en Dieu qui t\’aime

  2. merci pour ce partage et d’avoir fait traversé cette lumière au dela des murs et je pense qu’au dela de ton metier d’educatrice c’est une belle therapeute qui se dévoile bonne continuation dans dans ta relation d’aide auprès des détenus

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