La voie du bonheur, entre connaissance et oubli de soi
Les courants spirituels considèrent communément l’ego, le « moi-je », comme un obstacle au bonheur, au développement personnel et à l’envol spirituel de l’être. Ils exhortent les cheminants à s’élever moralement dans une forme de combat contre leurs penchants égotiques (orgueil, course aux richesses et au pouvoir, culte de l’image de soi…) pour parvenir à une attitude empreinte de modération et d’humilité.
L’humilité, vertu de l’âme qui s’entretient, vient nous rappeler par son étymologie (du latin humilitas, derivé de humus (terre, sol)), que l’homme n’est que bien peu de choses ici-bas et que pour accéder à la richesse de l’esprit, il lui faut d’abord comprendre les mécanismes de l’ego.
L’ego existe lorsqu’il y a conscience de soi puisqu’il est la représentation que l’être humain a de lui-même et que celui-ci l’amène à se positionner par rapport à l’autre. Cette conscience de soi est en partie nécessaire pour accéder au bonheur et à une forme de paix intérieure. Afin d’équilibrer, voire maîtriser son ego, il est donc primordial d’apprendre à se connaître et s’apprivoiser pour espérer…s’oublier un peu. Car le bonheur et la liberté de l’être ne se réduisent effectivement pas à la (re)connaissance de soi mais aussi à l’oubli de soi, et c’est à cette indifférence que se reconnaît la santé de l’ego : il souffre si je ne pense qu’à moi et se porte bien lorsque je suis plus heureux de donner que de recevoir ou que je suis davantage dans l’écoute que dans la prise de parole.
La bonne progression de l’estime de soi amène alors à l’effacement du moi et au fait de « cultiver une humilité qui ne soit pas punitive, en cherchant sa place plus que sa gloire et (…) en œuvrant à la paix de son âme ». (1) Il s’agirait donc d’abandonner quelque peu la vision humaine du succès, la croyance d’une vie réussie aux yeux des autres. Néanmoins, l’oubli de soi et la modestie n’impliquent pas la recherche d’une existence abâtardie, mais plutôt l’ambition d’une ouverture aux autres pour espérer faire de la place à ce qui est au-delà de soi. Et c’est par ce travail intérieur que l’on approche alors doucement de la véritable humilité.
C’est, du reste, ce que rapporte C. S. Lewis, écrivain et universitaire britannique, dans son ouvrage Les fondements du christianisme, publié en 1952 : « Si nous venions à rencontrer une personne véritablement humble, jamais nous ne repartirions en pensant qu’elle était humble. Elle ne nous raconterait pas constamment qu’elle n’est personne (car une personne qui ne cesse de dire qu’elle n’est personne est en fait obsédée par elle-même). La chose dont nous nous rappellerions d’une rencontre avec une personne évangéliquement humble, c’est combien elle semblait totalement intéressée par nous. Car l’essence de l’humilité n’est pas de se sous-évaluer ni de se surévaluer, mais simplement d’être moins centré sur soi. La véritable humilité […] signifie arrêter d’associer chaque expérience, chaque conversation, avec moi-même. En fait, j’arrête simplement de penser à moi ». (2)
L’oubli de soi, en plus de porter en lui une puissance libératrice menant à la quiétude intérieure, va donc permettre le fleurissement des relations humaines, dans lesquelles comparaison et compétitivité sont bannies et dans lesquelles l’individualisme ou le défaut d’orgueil laissent place à l’altruisme et à l’humilité. C’est par ce profond travail sur soi et par cette volonté de se libérer du joug de l’ego que s’ouvriront peu à peu les portes d’une vie spirituelle épanouissante, sereine et riche de sens.
« Aucun d’entre vous ne sera véritablement croyant jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ce qu’il aime pour lui-même » (3)
(1) André, Christophe. « L’oubli de soi », Imparfaits, libres et heureux, pratiques de l’estime de soi, édition Odile Jacob, 2006, pp. 389
(2) Keller, Timothy. « L’opinion de soi transformée », La liberté dans l’oubli de soi, édition Clé, 2008, pp.31.
(3) Hadith rapporté par Boukhari et Muslim
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