Mohamed Bajrafil : « Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, la shahada sera d’actualité »

« J’atteste qu’il n’y a pas de Dieu en dehors de Dieu et que Muhammad est l’Envoyé de Dieu. » C’est par l’acceptation et la prononciation de cette phrase qu’un individu se déclare musulman. Premier pilier de l’islam, la profession de foi, qui affirme avec force l’unicité de Dieu, est au cœur même de la doctrine islamique. Avec son dernier livre sobrement intitulé « L’Attestation de foi – La Shahada », l’imam et théologien Mohamed Bajrafil revient sur la signification profonde de ce témoignage.


Saphirnews : Vous publiez votre troisième ouvrage, le deuxième est également sorti en 2018. Pourquoi autant de productions éditoriales maintenant ?

Mohamed Bajrafil : Souvent, quand j’écris, c’est pour répondre à un besoin qui est d’abord manifesté par l’éditeur qui me fait la proposition. Là, avec les éditions Albouraq, nous nous sommes engagés dans une série de livres sur les cinq piliers de l’islam dans une collection intitulée « Je veux comprendre ». J’ai commencé par la profession de foi, il y en a quatre autres à venir (…) sur les piliers qui seront présentés avec des explications tirées de notre héritage mais qui se marient également avec les réalités de notre temps.

Qu’est-ce que votre livre change par rapport à ceux qui ont déjà été publiés sur la shahada ? Parce que ce thème est souvent le premier sur lequel on se renseigne avant de se convertir à l’islam ou de se mettre à la pratique religieuse.

Pouvez-vous rappeler aux lecteurs ce qu’est la shahada ? Elle est constituée de deux parties, comment l’expliquez-vous ?

Mohamed Bajrafil : La première partie de l’ouvrage consiste d’abord à expliquer les mots qui composent la shahada. J’ai essayé d’y introduire une notion nouvelle : les piliers de la shahada qui sont, pour moi, au nombre de quatre. Mais avant d’en arriver là, il faut d’abord prendre conscience du fait que la shahada est constituée de deux parties, vous le disiez à juste titre, mais pas forcément de la même manière.

Parce que, moi, je dis que la shahada est constituée d’une négation suivie d’une approbation. Souvent, lorsqu’on présente la shahada, on la présente comme étant constituée de la foi en Dieu et au Prophète alors qu’en fait les deux, certes, existent mais elles sont sous-tendues et portées par la négation que j’appelle « la négation primaire » que Dieu a mis dans toute sa créature : la possibilité de dire non. Et c’est par ce biais que j’affirme qu’en islam la foi, c’est d’abord une question de liberté : parce que tu commences par dire « La » qui veut dire « non » en arabe, tu dis « Je refuse ».

Ibn Ata Allah Al-Iskandari, un grand théologien mystique musulman du XIIIe siècle, a écrit, entre autres, un livre entier qu’il a consacré au nom « Allah », dans lequel il dit clairement que nous avons d’abord ce que l’on appelle le refus. Le refus de quoi ? Je refuse qu’on me propose pour ensuite accepter ce que, moi, je choisis. Avec « la ilaha », je refuse l’existence de quelques divinités que ce soit, sauf celle que j’ai choisie qui est la divinité véridique. Une négation suivie d’une approbation, preuve si besoin était qu’en islam, ce qui compte, c’est la liberté.

Finalement, cela répond à l’adage populaire « Choisir, c’est renoncer »…

Mohamed Bajrafil : Exactement. C’est d’autant plus beau qu’Ibrahim (Abraham) – que la paix soit sur lui – dont je parle dans le livre part de cette idée. Il se définit comme al-hanifi : le fait de tourner le dos à tout et d’être muslim (musulman). Dans le Coran, dans la sourate Al-Imran, il est dit qu’Abraham n’était ni juif ni chrétien (parce qu’il est mort avant que ces deux religions ne viennent) et qu’il était un négationniste de divinités autres que celle de Dieu.

Muslim est en relation avec le lâcher-prise, c’est comme cela que je le traduis et c’est comme cela qu’il faut le traduire aujourd’hui. Quand on parle de soumission, on a tendance à penser qu’il s’agit d’une soumission d’avilissement, alors qu’il s’agit d’un lâcher-prise. C’est comme quand on est amoureux de quelqu’un, on s’abandonne à lui. Donc on s’abandonne à Dieu parce qu’on est dans une relation de confiance et c’est d’ailleurs de là que vient la notion de « imane ». La foi, c’est d’abord une question de confiance.

(…) C’est un peu dans cet esprit-là que j’ai écrit ce livre. Pour aller dans le sens de votre question, quand Jean-Paul Sartre disait qu’« être libre, c’est savoir dire non » : être musulman, c’est d’abord dire non.

Dire non, c’est aussi ne pas être d’accord avec l’ordre établi… Quelque part, être musulman, c’est être révolutionnaire ?

Mohamed Bajrafil : Oui, le Prophète (Muhammad) était un révolutionnaire. De toute façon, quand tu viens perturber l’ordre établi, tu es forcément un révolutionnaire. Et tu t’attires donc les foudres.

Dans un précédent livre que j’ai écrit (Réveillons-nous !,publié en 2018, ndlr), j’ai parlé justement de deux types de mécréances : la mécréance pharaonique et la mécréance quraychite. La mécréance pharaonique, c’est la mécréance du pouvoir d’un tyran qui veut soumettre tout le monde à ses désidératas. La mécréance quraychite, c’est la mécréance des habitus : nous avons vu nos ancêtres agir ainsi et nous reproduisons leurs gestes. Le Coran dit : « Et si vos ancêtres avaient tort ? » Au fond, c’est dans ce sens-là que, en effet, je suis d’accord avec l’idée de révolution.

Il y a des personnes qui sont nées musulmanes par leurs parents qui, après réflexion, en devenant adultes, prononcent la shahada pour marquer leur pleine et entière entrée dans la religion et sortir d’une religion d’héritage. Cela signifie qu’il y a du sens à prononcer de nouveau cette shahada en tant qu’adultes…

Mohamed Bajrafil : Dans l’introduction, je dis justement que cette shahada est une réconciliation avec le vrai. Or le combat du vrai contre le faux, c’est un combat de tous les temps et de tous les âges. J’ai envie de dire que, aussi longtemps qu’il y aura des hommes, la shahada sera d’actualité.

Mohamed Bajrafil : Je n’ai pas la prétention de venir avec quelque chose de nouveau mais j’ai en tête une définition de la poésie qui a été proposée par Pierre Reverdy, un grand homme de lettres du siècle dernier (un poète français mort en 1960, ndlr), qui la définissait comme l’étincelle qui naît de la rencontre du for intérieur du poète qu’il met à nu avec le for intérieur du lecteur.

C’est une manière de dire que nous ne voyons pas tous la vie de la même manière et que si chacun de nous écrivait, il permettrait aux autres de voir une partie d’eux dont ils ne sont pas forcément conscients.

(…) Au fond, j’essaie tout simplement de partager ce que je pense savoir et je demande à tout un chacun d’en faire autant. Je pense qu’on peut améliorer le monde de cette manière.

Deuxième chose, il y a ce besoin de rester fidèle à l’imam Al-Ghazali qui, il y a 1 000 ans, avait écrit un livre intitulé La Revivification des sciences religieuses. Il partait déjà de l’idée qu’il y a 1 000 ans les gens ne faisaient pas le lien entre la prière et les secrets de celle-ci, entre le pèlerinage et les secrets de celui-ci… Aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire – et je pense qu’une bonne partie des gens seraient d’accord là-dessus –, c’est qu’on a perdu l’esprit de ce que nous faisons au profit du corps. J’ai essayé, avec mes maigres moyens, de proposer un discours qui réconcilie à la fois la pratique et l’esprit de l’attestation de foi.

Source
https://www.saphirnews.com/Mohamed-Bajrafil-Aussi-longtemps-qu-il-y-aura-des-hommes-la-shahada-sera-d-actualite_a25939.html

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