Pour une consommation éclairée
La société mondiale est marquée depuis la seconde moitié du siècle dernier par la concurrence acerbe des nations et des Hommes, tant sur le plan économique qu’idéologique. La globalisation et le capitalisme sauvage contraignent les nations et punissent les insoumis.
L’émergence de nouvelles technologies -Internet en tête- et l’uniformisation de la culture, des modes de consommation et des aspirations des individus tendent à façonner un homo œconomicus-debilius prêt à sacrifier un rein pour se payer le dernier Iphone. Pour être parmi les « gagnants », l’individu se doit de jouir de tous les attributs matériels que lui apporte cette société hypermoderne. Pour cela, l’individu n’hésite plus à entrer en concurrence frontale avec l’autre -son collègue de travail, son voisin, son proche- afin de le surpasser en possession de biens, d’expérience et de position sociale. Ses « trophées » et ses réussites sont ensuite exhibés au reste du monde sur les réseaux sociaux, avant de devenir quasi-instantanément obsolètes dans l’esprit collectif et individuel, le marché ou la société promouvant un nouveau standard à coup de marketing, d’obsolescence imaginaire ou programmée et de propagande médiatique, l’individu ayant de nouvelles passions – et pulsions – à assouvir. L’individu vit alors dans une spirale infernale de consommation et de paraître qui le pousse inexorablement vers plus d’individualisme et de concurrence avec autrui.
Plus qu’un choix de vie, ces nouvelles normes sociétales s’imposent à notre quotidien. A minima, nous fréquentons des individus « hypermodernes », notamment au sein des organisations qui structurent toute notre vie (entreprises, organisations publiques, universités, associations culturelles et sportives…). Dès lors, nous sommes influencés par ceux que l’on côtoie et qui n’hésitent pas à nous montrer leur dernier Smartphone ou leur nouvelle paire de chaussures. Nous devons également respecter certaines normes qui vont influencer un tant soit peu notre consommation (tenue vestimentaire, consommation alimentaire, véhicule, matériel électronique …). Nous sommes en plus sujets à toutes sortes de sollicitations marketing, via la télévision, Internet et les affichages publicitaires.
La consommation peut alors mener à deux excès : la surconsommation et ce que nous proposons d’appeler la consommation mal intentionnée. La surconsommation, sur un plan individuel, est le fait de consommer de manière excessive, par rapport à ses propres moyens financiers (je consomme plus que ce que je peux me permettre) et selon les normes de la société (je consomme plus que les autres). La consommation mal intentionnée s’apprécie quant à elle au travers des motivations à la consommation (je consomme pour de mauvaises raisons). Les deux situations entrent en contradiction avec le modèle prophétique.
Dans un tel contexte, nous sommes en droit de nous interroger sur le rapport du musulman à la consommation. Devons-nous suivre aveuglément les habitudes de consommation proposées par la société ? Sommes-nous réellement épargnés par leurs effets pervers ? Comment consommer de manière éclairée ? Nous tenterons d’apporter des éléments de réponses à travers cet article qui sera divisé en deux parties. Nous verrons tout d’abord les risques de la consommation au travers de la surconsommation. Nous verrons par la suite le problème de la consommation mal intentionnée et proposerons des pistes pour mieux consommer.
Les risques de la consommation irréfléchie : la surconsommation
L’objectif ultime des nations n’est plus d’assurer la prospérité au sens large (équilibre économique, sécurité, épanouissement spirituel, intellectuel…) mais bien quasi-exclusivement au sens économique. Toute la société s’organise sous cette ombrelle de l’économie. On ne fait pas avancer la médecine pour sauver des vies mais pour produire de nouveaux médicaments qui vont faire marcher l’économie (preuve en sont les maladies orphelines sans traitements car peu rentables pour les laboratoires pharmaceutiques). On ne cherche pas à produire des voitures électriques pour préserver la planète et les Hommes (le mois dernier, la pollution d’une agglomération chinoise a été reconnue cause de cancer du poumon d’un enfant de 8 ans) mais pour relancer le secteur de l’automobile et anticiper l’épuisement des ressources fossiles. L’économie guide les orientations du monde contemporain. Sa santé repose avant tout sur la consommation des ménages. La société s’organise donc pour pousser les gens à consommer, jusqu’à provoquer des situations de surconsommation. D’ailleurs, le seuil optimal de consommation n’existe pas, la société créant en permanence de nouveaux besoins et des moyens de consommer plus que ce que l’on peut.
Selon l’observatoire des crédits aux ménages, en France en 2017, le taux de détention des crédits par les ménages s’est sensiblement redressé pour s’établir à 47,8%. Si le crédit obtenu auprès d’un organisme bancaire ne concerne pas le musulman instruit et scrupuleux, d’autres types de vente (leasing, paiement en plusieurs fois…) font débat et permettent, sous une étiquette halal, de consommer ce qui serait financièrement impossible à l’instant « t ». Cette situation n’est pas mauvaise en soi et peut être mesurée et contrôlée. Par exemple, j’ai besoin d’acheter un ordinateur portable pour des raisons professionnelles ou pour mes études. Seul le paiement en plusieurs fois me permet d’y accéder. Je calcule alors mes possibilités de remboursement pour réaliser cet investissement absolument nécessaire. Le risque réside plutôt dans les situations de surendettement, ou de simple endettement pour des biens non vitaux. Par exemple, consommer en sachant pertinemment que le respect des échéances de remboursement est impossible à tenir, ou bien emprunter de l’argent pour changer de modèle de télévision ou réserver ses vacances dans un hôtel plus luxueux. La situation d’endettement devrait être une situation exceptionnelle et considérée avec gravité. Notre Prophète, paix et bénédictions sur lui, nous interpelle : « En vérité, le plus grand péché avec lequel un serviteur rencontre Dieu, après les grands péchés qu’Il a interdits, c’est qu’il meure alors qu’il avait une dette (non remboursée) et qu’il n’a rien laissé pour que celle-ci soit honorée. » (Rapporté par Ahmad et Abou Dâoûd)
Le phénomène le plus inquiétant concerne les restrictions faites sur les besoins vitaux (qualité de la nourriture, chauffage, voir soins médicaux…) non pas par manque réel de moyen (une situation bien différente) mais afin de se payer des biens de consommation secondaires éphémères ou renouveler l’existant (Smartphone, voiture…). On peut qualifier cela de comportement de consommation désordonnée, c’est-à-dire que la priorité est donnée aux choses qui ne le sont pas. Combien de gens se plaignent de leur situation financière avec un Smartphone dernier cri dans la poche ? Les musulmans ne sont malheureusement pas épargnés par ce phénomène, questionnable sur le plan de l’éthique universelle et islamique.
C’est dans cette situation que nous nous retrouvons en état de pauvreté. Le Prophète Mohammed, paix et bénédictions sur lui, nous dit : « Celui d’entre vous qui se lève un matin, en étant en sécurité avec sa famille, en bonne santé physique, possédant la subsistance de son jour, c’est comme s’il possédait le monde entier ». (Rapporté par Boukhari, Thirmidhi et Ibn Maja). Ce Hadith nous parle des besoins primaires, fondamentaux (la sécurité, la santé, la subsistance). En dépensant son argent dans les biens secondaires au détriment de ses besoins primaires, nous portons atteinte à la sécurité de notre famille, à leur santé et à la nôtre. Nous devenons riches de biens matériels secondaires mais incapables de répondre aux droits de notre corps et de notre famille, ceux-là même qui nous servent à avancer vers Dieu. A trop vouloir, nous oublions nos devoirs et tombons dans le péché.
« La course aux richesses vous a distraits (de vos obligations religieuses). Jusqu’à ce que vous ayez visité les cimetières. Mais en vérité vous saurez. Puis en vérité vous saurez. Oui vraiment, si vous saviez ce que savent désormais les mourants […] ». (Sourate La course aux richesses, versets 1 à 5)
Situation de surconsommation, de consommation désordonnée, ou pas, l’acte de consommer est un choix délibéré de l’individu, bien qu’influencé par divers stimulis. Derrière chaque achat, il y a une motivation, une intention. En ce sens, acheter est un acte enregistré dans nos registres et présenté à Dieu. Il convient de comprendre ce qui nous motive à consommer et peut nous entrainer dans des situations de restriction ou d’endettement injustifié. Le risque est de tomber dans des motivations malsaines qui ont un impact sur notre foi.
Les risques de la consommation irréfléchie : la consommation mal intentionnée
L’Homme moderne passe continuellement de la satisfaction « d’avoir quelque chose » au besoin de « posséder autre chose ». Heureux un moment, notre égo, sujet aux déclencheurs extérieurs (fréquentations, médias, publicités…), se retrouve dans une situation de manque face à un nouveau produit, une nouvelle mode, une nouvelle technologie… Une fois le « précieux » obtenu, nous avons tendance à désirer très rapidement quelque chose d’autre. Pour les patients, l’obsolescence programmée ou le jugement des autres ont raison d’eux. La recherche perpétuelle de nouveaux plaisirs de consommation rend l’individu malheureux, frustré de ne pas avoir la dernière version, la meilleure version ou l’objet complémentaire de la version qu’il possède. Ce sentiment de frustration se renforce lorsque les gens que l’on côtoie ont déjà mis à jour leurs produits ou acheté le produit remplaçant.
D’une manière générale, les pratiques de consommation individuelle sont influencées par les pratiques collectives. Les groupes d’individus avec lesquels nous évoluons (collègues, amis…) vont influencer nos choix et nos motivations de consommation au même titre que nos aspirations, nos bonnes manières et notre Foi. En ce sens, il y a des gens plus fréquentables que d’autres. « L’image de l’homme de bonne compagnie et de celle de l’homme de mauvaise compagnie est l’image du porteur de musc et celle du forgeron. Le porteur de musc, ou bien te donne un peu de son musc ou bien te le vend, ou bien tu jouis de sa bonne odeur. Tandis que le forgeron, ou bien il te brûle tes vêtements ou bien te nuit avec sa mauvaise odeur ». (Rapporté par Al-Boukhâri et Mouslim)
Le besoin d’appartenance, de conformité et de reconnaissance pousse l’individu à adopter les mêmes pratiques de consommation. Ces besoins ne sont pas mauvais en soi, surtout lorsque les individus du groupe sont des modèles à suivre. En revanche, ils peuvent entraîner l’individu vers des comportements excessifs. La jalousie entraîne la concurrence dans la recherche des biens. L’orgueil pousse à la recherche du paraître par la consommation.
« Sachez que la vie présente n’est que jeu, amusement, vaine parure, une course à l’orgueil entre vous et une rivalité dans l’acquisition des richesses et des enfants […]. » (Sourate le Fer, verset 20)
Se pose alors la question des motivations, ou des intentions. Notre Prophète, paix et bénédiction sur lui, nous dit que « les actes ne valent que par leurs intentions ». Ainsi, l’acte de consommation, comme tout autre acte, peut-être une bonne action, un péché ou quelque chose d’insignifiant selon les intentions qui le motivent. Il existe donc une consommation mal intentionnée. Acheter pour faire comme l’autre, pour le concurrencer, pour paraître dans la société, est-ce une bonne action ou un péché ?
Le problème est d’autant plus grand lorsque la mauvaise intention s’accompagne d’un endettement ou d’une restriction sur les besoins élémentaires. En tant que musulman éclairé, il convient donc de s’interroger sur les motivations qui nous poussent à l’achat. Au même titre que l’on achète de la nourriture pour subvenir à nos besoins biologiques et continuer à adorer Dieu, nous devrions consommer des biens secondaires pour subvenir à nos besoins sociaux et psychologiques et continuer à adorer Dieu, voire à mieux L’adorer.
Comment mieux consommer ?
Ne soyons pas dupes. L’Homme moderne ne peut se passer du strict minimum et tourner le dos aux biens de consommation, aux technologies, aux plaisirs ou aux modes. L’aspirant à Dieu, bien que « voyageur sur cette terre », pour reprendre le sens des propos du Prophète, paix et bénédictions sur lui, n’est pas pour autant un ermite déconnecté. Consommer et « vivre avec son temps » ne sont pas en contradiction avec les valeurs prophétiques. Il convient de réapprendre à consommer intelligemment, en mettant son argent dans les choses essentielles, en patientant face à ses désirs de consommation, tout en se faisant plaisir et en cultivant les bonnes intentions. Nous proposons pour cela quelques bonnes pratiques.
1) Donner priorité aux choses
La nourriture de qualité, la santé, l’éducation, ou encore le sport devraient faire partie des postes de dépenses prioritaires dans un foyer. Pour cela, il faut s’interroger sur nos capacités et notre manière de dépenser. Faut-il investir les 250 euros restants dans une pratique sportive en club ou dans une nouvelle console de jeux ? Puis-je me permettre de limiter les dépenses de nourriture et de priver ma famille pour pouvoir m’acheter un nouveau téléphone ? Payer 25 euros par mois pour inscrire mon enfant dans une école islamique le week-end est trop cher ? Mais combien suis-je prêt à débourser chaque mois pour avoir la 3G sur mon téléphone ou pour pouvoir regarder les matchs de foot sur Canal + ? Ne dois-je pas mettre de l’argent de côté, pour les coups durs, les imprévus, avant de refaire ma garde-robe que je ne trouve plus à mon goût ? Et qu’ai-je réservé pour le don, pour les projets d’appel à Dieu ? Une introspection et une planification des dépenses sont nécessaires, tout comme une responsabilisation face aux priorités. Bien évidemment, dans chaque type de dépense, le juste milieu s’impose. Les besoins secondaires doivent tout de même avoir leur place. « Ainsi Nous avons fait de vous une communauté de juste milieu » (Sourate La vache, verset 143)
2) Travailler ses intentions
Une fois les dépenses prioritaires réalisées, me reste-t-il de quoi consommer des biens secondaires ? Si oui, lesquels et pourquoi ? Ici arrive la question de l’intention. Vais-je changer de Smartphone pour renouveler un matériel obsolète qui ne remplit plus correctement sa fonction initiale ? Ou bien suis-je influencé par mes collègues de bureau qui viennent de se procurer le dernier modèle à la mode et me font passer pour un ringard ? Si mon choix est plutôt motivé par une addiction, une passion, un besoin d’appartenance à une communauté, je ne dois pas nécessairement me restreindre. Je dois d’abord m’assurer que mes dépenses prioritaires sont couvertes. Ensuite, je dois éviter de m’endetter pour ce genre de consommation. Enfin, je ne dois pas oublier que « Dieu n’a pas placé deux cœurs dans la poitrine de l’Homme ». (Sourate Les Coalisés, verset 4). Il faut alors réfléchir à l’intention mise derrière cet acte d’achat et lui donner du sens. Être passionné, oui. Porter dans son cœur, non.
3) Patienter
Cinq minutes suffisent pour obtenir un crédit à la consommation… comme pour vider son compte bancaire. La pression sociale et le marketing nous incitent à vouloir tout, tout de suite… et nous offrent les moyens pour y arriver. Dans cette situation, la patience est indispensable. Pour cela le réconfort dans le rappel de Dieu, le Coran et la fréquentation des croyants est le meilleur remède. « Fais preuve de patience en restant avec ceux qui invoquent leur Seigneur matin et soir, désirant Sa Face. Et que tes yeux ne se détachent point d’eux, en cherchant le faux brillant de la vie sur terre. Et n’obéis pas à celui dont Nous avons rendu le cœur inattentif à Notre Rappel, qui poursuit sa passion et dont le comportement est outrancier ». (Sourate La Caverne, verset18)
4) Se faire plaisir
La restriction engendre de la frustration. Trop de frustration peut entraîner un retour de bâton. Il en est de même dans le cheminement. On ne contraint pas fortement son ego du jour au lendemain au risque de s’essouffler et de tomber plus bas que d’où l’on est parti. Il faut donc y aller par étapes et ne pas hésiter à se faire plaisir. Simplement, assurons-nous d’avoir rempli nos obligations, sécurisé l’avenir, placé la bonne intention… mais aussi évité l’excès. « Prenez garde à l’exagération ! Prenez garde à l’exagération ! Prenez garde à l’exagération ! », nous exhorte le Prophète, paix et bénédictions sur lui.
Pour conclure, rappelons-nous les paroles lumineuses de notre Prophète, paix et bénédictions sur lui : « Celui dont la préoccupation est la vie dernière, Dieu fera que sa richesse soit en son cœur, Il confortera sa situation et les biens matériels se présenteront à lui avec docilité. Quant à celui dont la seule préoccupation est la vie ici-bas, Dieu mettra la pauvreté entre ses yeux et suscitera en lui la confusion, et il ne recevra de biens matériels que ce qui lui a été destiné » (Rapporté par At-Tirmidhi)
Ainsi, pour combattre nos comportements d’achats compulsifs ou tout simplement pour renouer avec des finances saines, recentrons-nous sur l’essentiel : Dieu, le Rappel, l’Engagement et l’Appel. Un cœur éveillé orientera son porteur vers une consommation réfléchie. N’oublions pas que nous serons jugés pour chaque achat selon leur intention. N’oublions pas non plus que la situation d’endettement est une situation exceptionnelle et de dernier recours. Les soldes arrivent à grands pas. Il est temps de s’interroger !
« Ô Seigneur ! Accorde-moi de Tes biens licites pour m’éviter de rechercher Tes interdits et puisse Ta générosité m’atteindre pour m’éviter de recourir à tout autre que Toi ».